C’est dans un bus greyhound au retour d’un “Organizer Training 102” que j’ai eu pour la première fois l’impression de “catcher” l’IWW, de ce que c’était d’être un organisateur syndical. J’étais membre depuis 2 ans, mais c’est après des rencontres et discussions de membres loin de chez moi que j’arrivais à me projeter dans ma branche et dans son cheminement.
Je pense que cette rencontre de gens avec qui j’avais peu de références, pas même la langue d’origine, mais qui partageaient les mêmes objectifs et avaient fait face aux mêmes défis que notre jeune branche me permis de voir la valeur de l’organisation comme une structure capable de cristalliser et transmettre des leçons. Je sais que ces rencontres avec “l’IWW at large” ont aussi eu effet sur certain.e.s de mes camarades, qui peuvent s’inscrire dans un projet et une durée plus grande, nous aidant à endurer les crises et les creux.
J’espérais créer de tels moments lorsque je suis devenu Regional Organizing Department Liaison (RODL) dans le comité d’organisation régionale Canadien (CANROC). De plus, par mon métier j’étais appelé à me poser le long des cours d’eau du Fleuve St-Laurent jusqu’aux villes Ontariennes proches des Grands Lacs. Si j’eu la chance de voir bon nombre de camarades de quelques villes, la pandémie actuelle a freinée ces rencontres. Lorsqu’on m’a proposé d’écrire un article francophone pour l’Industrial Worker, je me suis dit que je pouvais tenter de glisser quelques leçons qu’on m’a apprises, par échange ou expérience. En espérant que de nouveaux camarades de Montréal puissent les appliquer ou de nouvelles branches en profiter.
Un millier de mercenaires activistes
Je pense que deux des tendances quasi systématiques que j’ai vu se développer dans des branches sont l’activisme et le mercenariat.
L’activisme consiste ici à concentrer (intentionnellement ou non) les activités d’une branche à (tenter de) renforcer les mouvements sociaux déjà existants ou de participer à toutes les activités/actions dans laquelle tout bon “gauchiste” doit se trouver (manif, cuisine “pop”, salon du livre anar, etc). Si ces actions et activités permettent de se donner bonne conscience et parfois même de recruter, deux obstacles surgissent.
1) On court après des ambulances. Ces mouvements sociaux sont beaucoup plus gros que notre maigre branche, profitent de notre présence (si celle-ci est assez significative…) et gagnent en légitimité et nombre tandis que nous ne paraissons comme un simple groupe satellite. Who cares si nous faisons une levée de fond de 207.34$ pour un mouvement écologique fort de millions de participants à travers la planète. De plus, ces interventions rendent difficile notre développement d’une base autonome des autres organisations.
2) L’activisme recrute des activistes. Si la participation aux rituels progressistes peut paraître comme une bonne façon de rester actif quand l’organisation d’un milieu de travail n’est pas au rendez-vous, le danger réside dans le fait que vous recruterez des gens qui s’intéressent à ce que vous faites (de l’activisme) et pas ce que vous souhaitez éventuellement peut-être faire (de l’organisation syndicale).
Le mercenariat est, dans notre cas, le fait de s’intégrer à des luttes syndicales en cours comme substitut au travail d’organisation syndicale de l’IWW. C’est un danger que nous percevions déjà en 2013 lors de la grève des Renaud-Bray au Québec: les membres de l’IWW faisaient les actions “chaudes” et prenaient de grands risques pour aider un syndicat qui disposait de beaucoup plus de ressources et de membres que nous. Si nos interventions dans certains conflits ont souvent eux de réels impacts significatifs, je vois quelques limites à nos interventions dans ces campagnes, qui restent malgré tout pertinentes car notre loyauté n’est pas à une organisation, mais à des gens bien réels qui vivent ces conflits.
1) Nous ne sommes pas qu’une critique du syndicalisme “traditionnel”, nous sommes une alternative. Notre rôle est de développer cette alternative, pas de maintenir les vieux syndicats sur le respirateur artificiel.
2) Le mercenariat permet de recruter des sympathisants, qui verseront des cotisations par sympathie à l’IWW mais qui ont déjà une lutte à mener. À quelques exceptions près (salut à toi Alain), le recrutement de longue durée est difficile dans le cadre de ces interventions.
Je ne dis pas que l’activisme et l’intervention dans d’autres conflits syndicaux doivent être ignoré ou boycotté complètement, pas du tout. Je pense que d’avoir ces potentielles dérives à l’esprit nous permet d’approcher l’activisme et le mercenariat avec prudence, en choisissant mieux comment nous déployons notre présence.
On doit choisir: ou le why not “why not both”
Ne pas choisir d’orientation dans ses activités, assumer que “nous pouvons faire les deux” (activisme et organisation par exemple) ne prends pas compte de la faiblesse de nos ressources, tant humaine qu’économique, et favorisera par défaut l’activité “facile” (souvent l’activisme). Bien souvent, il importe de tracer une ligne dans le sable et de choisir. C’est ce qui permet de concentrer nos énergies dans les tâches moins sexy, plus malaisantes comme parler à ses collègues de travail. Le choix d’orientations organisationnelles collectives nous permet de se donner des objectifs et de voir si nous y parvenons sans sombrer dans une orientation et une direction que nous n’avons pas choisi. Discutez-en, fixez des objectifs, faites des suivit et jugez ainsi l’activité et la vie de votre branche ou comité, ne le jugez pas par le nombre d’interventions qui se font en son nom.
Influence et participation
La branche de Montréal compte actuellement plus de membres qu’elle n’en a jamais eu pourtant, ses rencontres mensuelles et la présence dans ses comités ne suit pas proportionnellement son membership. C’est un problème qui semble se répéter d’une branche à l’autre, je ne pense pas qu’on puisse atteindre cet idéal mais je pense avoir quelques pistes de solutions/explications.
1) Les premiers membres de notre branche adhéraient par principe idéologique plus que par besoin syndical. Cela se reflète dans la culture et les discussions en réunion, après les réunions et sur les médiums de discussions de la branche (FB). C’est un obstacle à l’intégration des membres issus de campagne sur des planchers de travail. Montréal a adopté quelques règles qui permettent de diminuer les frictions: pas de blagues ou de commentaires “auto-référentiels” et les débats et désaccords se règlent dans les réunions (pas d’engueulades dans nos forums). Si beaucoup de branches proposent des “paquages” pour nouveaux et nouvelles membres, une attention particulière devrait être portée à l’intégration des membres issus de campagnes de plancher vers l’organisation plus large.
2) La croissance vient avec une baisse la barrière à l’entrée. Lorsque notre branche faisait ses premiers pas, joindre l’IWW était vu comme “un big deal” et une déclaration à s’engager corps et âme. Une section de 5 personnes remarquera vite l’inactivité d’un membre ou son absence en réunion. Avec la croissance, joindre deviens moins intimidant et ce n’est pas une mauvaise chose. Certains membres joindront par sympathie et procureront des fonds et une présence occasionnelle à un évènement ou l’autre, mais si un évènement survient à leur emploi ou à celui d’un ou d’une proche, vous ne serez pas bien loin.
Un sentier tapé
Lors d’une édition de Labor Notes à Chicago, moi et quelques camarades avons eu la chance de rencontrer des militant.e.s issu.e.s d’organisations syndicales semblables à la notre situés ailleurs sur la planète. Inicjatywa Pracownicza (Pologne) et Si Cobas Lavoratori Autorganizzati (Italie, voir le documentaire Ditching the fear). Notre groupe voulait tout savoir sur les cotisations, les méthodes et les pratiques de Inicjatywa Pracownicza, qui avait une section de 500 membres chez Amazon et 3000 membres dans toute la Pologne, nous les percevions comme le prochain stade à atteindre pour nous, elles-mêmes semblaient voir Si Cobas de la même façon: une organisation plus grande et mieux organisée que la leur, mais qui avait parcouru un chemin semblable. Si de nouveau défi propre à notre époque surgiront bien avec leur contexte unique, beaucoup de nos défis ne sont pas uniques, et nous ne sommes pas les premiers à y faire face. Permettons nous d’apprendre de ceux et celles qui sont déjà passé, que ce soit pour organiser la première rencontre d’un caucus de l’IWW avec 4 personnes ou pour organiser une grève de centaines d’employés. Organisez la rencontre avec ceux et celles qui sont rendus un pas plus loin.