Une justification des droits (humains, de charte) des travailleuses et travailleurs (du sexe) au Canada

En 2013, la Cour suprême du Canada a décidé que plusieurs dispositions criminelles relatives au travail du sexe étaient inconstitutionnelles selon la Charte canadienne des droits et libertés. Beaucoup de travailleuses et travailleurs du sexe avaient l’espoir que le Canada reconnaisse enfin le travail du sexe comme une occupation en soi et que les personnes qui participent à cette industrie puissent enfin bénéficier de la richesse qu’elles produisent à travers leurs services.

Pourtant, plutôt que d’assurer la sécurité physique et légale de ces membres marginalisé.e.s de la classe ouvrière, le Parlement a décidé de faire passer la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (LPCPVE)[1], qui favorise encore plus la dépossession et la criminalisation des travailleuses et travailleurs du sexe. La LPCPVE s’inspire du mythe des « régimes suédois » selon lequel la « clientèle est criminalisée tout en décriminalisant les travailleuses et travailleurs du sexe. » Bien que ces travailleuses et travailleurs soient à l’abri de poursuites relatives à certaines dispositions, le contexte de criminalité dans lequel travaillent ces personnes façonne leur manière d’organiser leur travail pour éviter la détection par les forces de l’ordre. Surveillé.e.s et profilé.e.s par les autorités policières, les travailleuses et travailleurs du sexe n’ont pas la pleine capacité de négocier des conditions de travail plus sûres et sont exposé.e.s à des violences genrées.

Le 21 avril 2021, un juge de la Cour suprême de l’Ontario a prononcé une décision selon laquelle les dispositions visant à « empêcher les travailleuses et travailleurs du sexe à travailler de façon sûre, y compris à pouvoir faire de la promotion sur des plateformes tierces, avoir recours à des services de sécurité, travailler ensemble et communiquer avec la clientèle » sont inconstitutionnelles. Toutefois, cette loi reste actuellement en vigueur. La LPCPVE et ses versions antérieures maintiennent des normes sociales régressives qui limitent gravement les droits constitutionnels à la vie, la liberté et la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe.

Le 21 avril 2021, un juge de la Cour suprême de l’Ontario a prononcé une décision selon laquelle les dispositions visant à « empêcher les travailleuses et travailleurs du sexe à travailler de façon sûre, . . . » sont inconstitutionnelles. Toutefois, cette loi reste actuellement en vigueur.

La responsabilité criminelle imposée par la loi interdit aux travailleuses et travailleurs du sexe de négocier ouvertement leurs conditions de travail, tout en les empêchant de travailler collectivement, d’établir des coopératives de travail ou de partager une chambre d’hôtel pour faire des économies, le tout de façon légale. La loi criminalise également en tant que complices d’autres personnes dont le travail facilite le sexe tarifé. Cela comprend les activités d’assistance aux travailleuses et travailleurs du sexe telles que la publicité ou le marketing de services sexuels, l’achat de services sexuels, ou la réception d’un avantage matériel découlant de la vente de sexe. En plus de toutes les prohibitions avancées, les programmes fédéraux de soutien au revenu, telle la Prestation canadienne d’urgence, sont fermés aux travailleuses et travailleurs du sexe. Au lieu de financer des travailleuses et travailleurs marginalisé.e.s de tous bords[2], cette loi et d’autres[3] acheminent cet argent aux forces de l’ordre qui agissent souvent en prédateurs, ce qui met en danger les travailleuses et travailleurs du sexe, leur clientèle, leurs familles et leurs réseaux de soutien.

Les travailleuses et travailleurs du sexe se rendent compte plus que jamais de la nécessité de protéger et développer de façon collective leurs intérêts économiques, sociaux et éducatifs en tant qu’industrie.

Sur le front légal, six travailleuses et travailleurs du sexe et l’Alliance canadienne pour la Réforme des Lois sur le Travail du Sexe ont initié une contestation de la Charte visant à faire annuler les prohibitions injustes actuelles[4]. L’importance de cette contestation constitutionnelle ne peut être minimisée. En plus de permettre aux travailleuses et travailleurs du sexe de faire de la publicité sur des plateformes tierces, d’embaucher des effectifs de sécurité et de communiquer ouvertement avec la clientèle, l’annulation éventuelle de cette loi par le Canada permettrait aux travailleuses et travailleurs du sexe de se réunir légalement en syndicats pour leur défense mutuelle et pour le progrès industriel.

Les travailleuses et travailleurs du sexe ne se contentent pas d’attendre que les lois s’adaptent aux réalités. En s’organisant sous la bannière du Syndicat industriel des travailleurs et travailleuses – Industrial Workers of the World (SITT-IWW), les travailleuses et travailleurs du sexe montrent au mouvement syndical canadien ce qu’implique une focalisation nouvelle sur les aspects fondamentaux et oubliés du syndicalisme, car celui-ci a été réduit à dépendre de conventions collectives devenues inapplicables en raison de l’utilisation de lois antigrève de retour au travail. En tant que syndicat qui organise des personnes à risque d’actions policières, le SITT-IWW comprend que la criminalisation n’a jamais assuré la sécurité de qui que ce soit. En revanche, ce qui protège les travailleuses et travailleurs c’est se réunir, identifier les problèmes et agir collectivement afin de protéger leurs intérêts en tant qu’industrie tout entière.

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Le Mouvement industriel des travailleuses et travailleurs du sexe du SITT-IWW et les efforts attenants permettent aux travailleuses et travailleurs du sexe de mener des recherches industrielles sur les difficultés et les besoins de leur industrie, d’éduquer et de s’organiser pour combattre des conditions régressives sur des plateformes en ligne comme Onlyfans, et de collaborer pour rendre l’industrie plus sûre. 

La victoire en Ontario et la contestation de la Loi par l’Alliance montrent qu’il est possible de réduire la quantité et la complexité des obstacles auxquelles les travailleuses et travailleurs du sexe font face en essayant d’adopter des mesures pour augmenter leur sécurité.

En attendant, la seule chose sur laquelle les travailleuses et travailleurs peuvent compter c’est l’organisation collective.

Si vous êtes un.e travailleuse ou travailleur du sexe qui souhaite se syndiquer, veuillez contacter [email protected] pour un soutien de syndicalisation culturellement compétent.

Jelena Vermilion est travailleuse du sexe à service complet depuis près de dix ans, délégué SITT-IWW au SI 690 et la Directrice générale du groupe d’action directe et d’entraide autonome Sex Workers Action Program of Hamilton (SWAP Hamilton), une organisation membre de l’Alliance canadienne pour la Réforme des Lois sur le Travail du Sexe et du Réseau mondial de projets sur le travail du sexe.


Ressources :

Écouter les travailleuses et travailleurs du sexe : pour plus d’informations sur le dialogue dans la vidéo du 1er mai du SWAP Hamilton, veuillez consulter : https://industrialworker.org/sex-workers-against-work/

Rester informé sur la lutte pour la réforme des lois canadiennes sur le travail du sexe : Site | Twitter | Facebook

En savoir plus sur le travail du sexe du point de vue des travailleuses et travailleurs grâce à ces livres.

Pour en savoir plus sur le militantisme historique autour du travail du sexe, consultez le film de George Stamos : Our Bodies Our Business

L’ACRLTS a compilé un ensemble exhaustif de recommandations portant sur la façon de réformer les lois fédérales, provinciales et municipales qui sont utilisées pour cibler de façon injuste les travailleuses et travailleurs du sexe en particulier.

Pour une version approfondie de cet article, veuillez écouter ici.


[1] Des initiatives comme celle-ci basées sur la « panique morale » de la lutte contre la traite augmentent la répression et la surveillance des travailleuses/travailleurs du sexe et de leurs lieux de travail. Ce sont également des stratégies qui permettent de cibler spécifiquement des travailleuses et travailleurs du sexe migrant.e.s.

[2] Lié.e.s par la criminalisation et la stigmatisation, les travailleuses et travailleurs du sexe réunissent une diversité d’expériences, dont des personnes racisées, trans ou non binaires, des travailleuses et travailleurs handicapé.e.s et des parents.

[3] Les réglementations locales nuisent également aux travailleuses et travailleurs du sexe. La « stratégie anti traite » actuelle du gouvernement de l’Ontario détourne plus de 300 millions $ vers la police plutôt que vers des services sociaux pour la communauté touchée.

[4] Cette action en justice témoigne du fait que la LPCPVE enfreint aux droits des travailleuses et travailleurs du sexe à la sécurité, à l’autonomie personnelle, à la vie, à la liberté, à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à l’égalité.

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